En couleurs. La sculpture polychrome en France 1850-1910
06 oct. 2018C’était l’exposition estivale du musée d’Orsay. Je m’intéresse beaucoup à l’art du 19ème siècle, alors je l’ai visité. J'ai découvert ce qu'était la sculpture polychrome et de belles oeuvres. J'y ai retrouvé des oeuvres architecturales vues sur des façades dans les rues de Paris et ailleurs. Si vous l’avez raté, pas de soucis je vous en fais un résumé, en reprenant les panneaux explicatifs de l'exposition.
De l’Antiquité jusqu’à la Renaissance, la sculpture occidentale, religieuse ou profane, est le plus souvent polychrome. La couleur est ensuite abandonnée et se dirige vers la blancheur des marbres gréco-romains. Néanmoins, le Romantisme laisse apparaître quelques tentatives de polychromie.
Dans les musées, on pouvait admirer des sculptures polychromes anciennes célèbres, dont certaines sont exceptionnellement ici. On distingue au 19ème siècle deux types de polychromies. La polychromie « naturelle » : assemblage de marbres de couleurs différentes et parfois de bronzes patinés. Et la polychromie « artificielle » : mise en peinture de tous types de matériaux (marbre, plâtre, ivoire, cire, bois) auxquels peuvent s’ajouter des ornements précieux.
Nicolas Cordier - Maure, dit le Maure Borghèse (1611-1612) - Albâtre fleuri, lapis-lazuli, calcaire noir, calcite blanche et marbres de couleurs - PARIS, MUSEE DU LOUVRE.
Charles Cordier - Capresse des Colonies (1861) - Albâtre, bronze argenté et oxydé, bronze doré et marbre cervelas - PARIS, MUSEE D'ORSAY
Pour beaucoup, au milieu du 19ème siècle, la sculpture polychrome est considérée comme une menace esthétique qui amènerait à la « fin de l’art ». La polychromie appliquée à la sculpture moderne rencontre jusqu’aux années 1880 l’hostilité d’une bonne partie des sculpteurs et de la critique conservatrice. L’académicien Charles Blanc juge que si la sculpture « ajoutait à la vérité palpable des formes, la vérité optique des couleurs, elle aurait avec la nature trop de ressemblance et pas assez ; elle serait tout près du mouvement de la vie et ne nous montrerait que l’immobilité de la mort. ». Le lent retour de la sculpture polychrome au 19ème siècle témoigne des variations de l’histoire du goût.
Les découvertes archéologiques qui se multiplient au début du 19ème siècle confirment peu à peu la polychromie de l’architecture et de la sculpture antique. Ces découvertes vont apporter des polémiques sur l’usage de la couleur dans la sculpture moderne. Sculpteurs et architectes proposent de nombreuses reconstitutions antiques. Dès 1855, ont lieu quelques tentatives de polychromie naturelle à l’antique (Hélène de Troie par Lombard et Cantini). A partir des années 1890, Jean-Léon Gérôme, peintre passionné par l’archéologie gréco-romaine, se consacre à la sculpture en couleurs, privilégiant la polychromie « artificielle » en particulier le marbre peint. Ses œuvres sont guère appréciées, considérées comme de mauvais goût.
Henri Lombard (sculpteur) et Jules Cantini (marbrier) - Hélène (1885) - Marbre blanc de Carrare, marbre vert antique, marbre jaune de Sienne, albâtre, malachite, métal émaillé et pierre - MARSEILLE, MUSEE DES BEAUX-ARTS
Au début des années 1870, Henry Cros se spécialise dans la cire polychrome inspiré, sans pastiche, de modèles du 16ème siècle, créant des œuvres d’une nostalgie raffinée qui trouvent leur public. Le goût pour la Renaissance triomphe dans les 1870-1880 : de nombreux bustes et statues polychromes représentent des personnages historiques ou imaginaires, mais aussi des portraits contemporains costumés. La société élégante apprécie ses « tableaux vivants » en trois dimensions. Charles Lévy et Théodore Deck ont réalisé une œuvre spectaculaire représentant Bernard Palissy. Les œuvres célèbres de la Renaissance sont déclinées commercialement en couleurs, de manière très libre, par les grandes manufactures de céramique.
Henry Cros - Le prix du tournai (1873) - Cire peinte et partiellement dorée, perles - PARIS, MUSEE D'ORSAY
Zacharie Astruc - Saint François en extase (1873-1874) - Bois peint, ivoire, verre et corde - COPENHAGUE, NY CARLSBERG GLYPTOTEK
Charles Octave Lévy (sculpteur) et Théodore Deck (céramiste) - Bernard Palissy (1876) - Faïence, décore d'émaux polychromes - GUEBWILLER, MUSEE THEODORE DECK
Le Second Empire (1852-1870) permet les premiers pas d’une reconnaissance de la sculpture polychrome. Charles Cordier fut le premier véritable pionnier français de la sculpture en couleurs, privilégiant une forme de polychromie « naturelle », assemblage de marbres colorés et de bronzes patinés. Le goût du luxe qui séduit la société du Second Empire permet l’essor de toute une production aux frontières floues de la sculpture et de l’objet d’art, éditée en matériaux composites et luxueux, dont les sculpteurs fournissent les modèles.
Charles Cordier - Nègre du Soudan (1856-1857) - Albâtre, bronze argenté oxydé et porphyre des Vosges - PARIS, MUSEE D'ORSAY
Charles Cordier - Juive d'Alger (1872) - Bronze, bronze émaillé et partiellement doré, marbre, albâtre partiellement doré et albâtre - TROYES, MUSEE DES BEAUX-ARTS
La polychromie « artificielle » redonne un second souffle à la sculpture de petit format exécutée dans des matériaux précieux. A partir du milieu des années 1890 se développe une production d’œuvres conçues pour être polychromes. La découverte des statuettes de Tanagra en 1870 provoque un vif engouement et inspire de nombreuses réalisations contemporaines, figures féminines élégantes qualifiées régulièrement de « tanagras modernes ». La petite sculpture chryséléphantine (assemblant ivoire, bronze et matériaux précieux) connaît alors une vogue considérable.
Théodore Rivière - Brodeuse tunisienne (1898) - Ivoire, marbre blanc, albâtre rubané, marbre gris, bronze doré, bois, émaux de Lalique et plomb - PARIS, MUSEE D'ORSAY
Louis Ernest Barrias - La Nature se dévoilant à la Science (1899) - Marbre et albâtre d'Algérie, calcite, malachite, lapis-lazuli - PARIS, MUSEE D'ORSAY
Antoine-Louis Barye - Guerrier tartare à cheval (1855) - Bronze patiné partiellement émaillé, argenté et doré - PARIS, MUSEE D'ORSAY
La sculpture inspirée par le symbolisme va trouver dans la polychromie un de ses moyens d’expression privilégiés. Les sculpteurs explorent les voies des correspondances entre arts, littérature, musique et peinture. On est loin de la reproduction illusionniste du réel, mais dans le goût pour le mystère, le fantastique insolite et le bizarre, parfois inspirée de courants ésotériques ou occultistes. Carriès subvertit des figures de légende séculaires, imaginant des créatures monstrueuses, hybrides, qui peuplent son œuvre céramique. Gauguin, peintre et sculpteur, explore principalement le bois et la céramique. Soyez mystérieuses est le relief-paysage ésotérique par excellence. Les bois de Georges Lacombe, « le nabi sculpteur », se ressentent de l’art populaire breton et de Gauguin, mais aussi de la sculpture du Moyen-Orient et de l’Egypte ancienne. Le plâtre de la Marie-Madeleine constitue l’une des sculptures les plus introspectives du symbolisme, d’une intense présence biblique.
Le portrait « simulacre » des contemporains fait l’objet de nouvelles tentatives, qui témoignent de l’émancipation progressive des artistes et des codes du genre, même s’il est certain que beaucoup de ces expériences sont étroitement liées à la personnalité du modèle. L’actrice Sarah Bernhardt est portraiturée deux fois en couleurs, par Ringel d’Illzach en cire, et par Gérôme en marbre peint : ces bustes se révèlent profondément dérangeants à quelques années d’intervalle. Ils jouent tous deux sur un rendu mimétique, préfigurant une forme d’hyperréalisme, mais un abîme esthétique les sépare : l’un évoque le mannequin de coiffeur honni par la critique, l’autre constitue l’un des portraits sculptés majeurs du début du 20ème siècle.
Rodin et Bourdelle explorent le raffinement des coloris et des matériaux, pâte de verre ou céramique. Le portrait de Madame Renoir, agrandi par Richard Guino en 1916, placé un temps sur sa tombe, est en mortier peint et préfigure des recherches plus modernistes.
Antoine Bourdelle - Madame Alcorta (1915) - Plâtre peint ; Auguste Rodin - Camille Claudel au bonnet (1911) - Pâte de verre ; Antoine Bourdelle - Madame Millett (1916-1923) - Pâte de verre
La céramique fut le matériau du renouveau de la sculpture polychrome à la fin du 19ème siècle. Faïence puis grès offrent aux artistes une forme d’inaltérabilité de la couleur, même pour des œuvres à plusieurs exemplaires. De nombreux sculpteurs explorent cette voie aux possibilités multiples à partir des années 1880-1890, sous l’impulsion d’industriels comme Muller à Ivry qui édite en grès les œuvres des sculpteurs contemporains. Le céramiste Alexandre Bigot collabore avec le sculpteur Camille Alaphilippe. Jean Carriès s’installe à Saint-Amand-en-Puisaye, centre potier séculaire, afin d’émailler lui-même ses sculptures. Auguste Rodin fait appel à des céramistes de renom (Jean-Paul Jeanneney), pour traduire certaines de ses œuvres en grès.
Camille Alaphilippe (sculpteur), Alexandre Bigot (céramiste) - La Femme au singe (1908) - Grès émaillé et bronze doré - PARIS, PETIT PALAIS
La sculpture céramique polychrome de la deuxième moitié du 19ème siècle doit beaucoup aux architectes. Les Expositions universelles de 1878 et 1889 consacrent l’essor de la sculpture céramique architecturale, en faïence puis en grès, avec les productions spectaculaires de Jules Loebnitz et d’Emile Muller. Le grès devient le matériau moderne de la sculpture polychrome appliquée à l’architecture. Une production plus commerciale se diffuse sur les façades ou dans les intérieurs des habitations modernes, diffusant ainsi la sculpture décorative polychrome. Alexandre Bigot sera un des céramistes majeur de l’Art nouveau.
Emille Muller et Cie - Feuille de marronier élément céramique architecturale (1900) - Grès émaillé - Collection particulière / Perrusson et Desfontaines (tuileries) - Métope (1890) - Terre cuite émaillée - ROMORANTIN, MUSEE DE SOLOGNE / Alexandre Bigot - Antéfixe (1906) - Grès émaillé - LIMOGES, MUSEE ADRIEN-DUBOUCHE
Paul Jouve (sculpteur), Alexandre Bigot (céramiste) - Lion passant Tigre Taureau (1900) - Grès flammé émaillé - Commande de René Binet pour la porte de l'Exposition Universelle de 1900 PARIS, MUSEE D'ORSAY / Emile Muller et Cie - Les Flammes, manteau de cheminée (1900) - BEAUVAIS, MUSEE DE L'OISE
Alexandre Bigot - Souris dans les blés / Souris se jetant dans la gueule d'un chat (1900) - Grès émaillé - Elément d'une frise de la maison de l'artiste à MER - ROMORANTIN, MUSEE DE SOLOGNE / Alexandre Bigot - Hippocampe, balustre (1900) - Grès flammé - MER, MUSEE DE LA CORBILLERE / Alexandre Bigot - Cabochon (1911) - Grès émaillé - Pour l'immeuble du 31 rue Campagne-Première PARIS XIV - ROMORANTIN, MUSEE DE LA SOLOGNE / Emile Muller et Cie - Cabochon (1890) - Grès émaillé - ROMORANTIN, MUSEE DE SOLOGNE / Auguste Delaherche - Panneau décoratif de la porte d'entrée du Palais des Beaux-Arts de l'Exposition Universelle de 1889 - Grès émaillé - LIMOGES, MUSEE ADRIEN-DUBOUCHE
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